Alexandra Tavernier : “Les lancers ne sont plus le parent pauvre de l'athlétisme”

Médaillée de bronze lors des mondiaux 2015 et vice-championne d'Europe 2018, la lanceuse de marteau fait le point sur une jeune carrière déjà bien remplie.

Alexandra, comment avez-vous géré ces dernières semaines ?

 

Je m’en suis bien sortie par rapport à d’autres athlètes avec qui j’ai pu échanger. J’ai passé deux mois chez mes parents en Haute-Savoie où j’ai pu lancer dans un champ. Il était tout de même difficile de travailler le volume en s’entraînant une heure par jour. J’ai pu me maintenir en forme physiquement, travailler mon aérobie, reprendre quelques fondamentaux comme le sprint ou les séances de côtes. 

J’ai fait le choix de ne pas faire de saison hivernale afin de préparer les Jeux Olympiques mais je n’ai pas été surprise qu’ils soient reportés, c’était la seule décision à prendre. Je pars du principe que tous les athlètes connaissent une saison blanche à un moment ou à un autre, je me dis que c’est la mienne !

 

J’ai pas mal travaillé avec ma psychologue et discuté avec mon entraîneur (Gilles Dupray) pour créer d’autres objectifs. J’ai transféré mon objectif des JO vers les championnats de France élite qui auront lieu mi-septembre et vers les autres compétitions qui se tiendront à la rentrée. Je pense que cette période aura été bénéfique. 

 

Vous en avez profité pour faire un point sur le chemin parcouru ?

 

J’ai pas mal réfléchi et échangé par téléphone avec mon entraîneur. Ce qui m’a le plus marqué pendant le confinement c’est une réflexion par rapport à ma médaille de bronze aux mondiaux de Pékin en 2015. Je me dis que cela fait déjà 5 ans que j’ai obtenu ma première médaille internationale chez les grands. J’ai l’impression d’avoir beaucoup ramé depuis mais de m’en être sortie. J’ai connu deux années compliquées puis je suis revenue à ce que j’avais l’habitude de faire. Il y a eu des hauts et des bas mais j’ai fini par trouver de la stabilité. Avec Gilles, nous avons fait un point sur ce couple entraîneur-entraîné, nous avons réfléchi à tout ce qui s’est passé ces dernières années et cela aura du bon pour la suite.

 

Vous possédez le record de France du lancer du marteau (74,84 m), que vous manque-t-il pour atteindre cette barre des 75 m ?

 

Je voulais vraiment battre le record de France depuis 2015, c’est quelque chose après lequel j’ai beaucoup couru et je n’arrivais pas à comprendre pourquoi il ne tombait pas. Lorsque je l’ai battu pour la première fois en 2018 c’était un soulagement. Cela fait désormais 5 saisons que je lance régulièrement à plus de 74 m, j’attends avec impatience le moment où je vais atteindre la marque des 75 m après l’avoir mordu à deux reprises en 2018 et 2019. 

 

La musculation est mon principal axe de progression mais je ne vois pas ce qui pourrait m’empêcher d’effacer les 75 m. Ces dernières années, nous avons beaucoup travaillé la technique. Je suis également plus disponible physiquement pour transférer l’énergie dans le marteau. À l’entraînement je n’arrive pas à me dépasser comme en compétition, j’en ai vraiment besoin pour me transcender. 

 

 

Vous n’avez pas manqué de grands championnats depuis 2014, avez-vous constaté un gain de maturité malgré vos 26 ans ? 

 

Les lancers sont des disciplines à maturité tardive. Je suis encore un bébé à 26 ans alors imaginez lorsque j’en avais 21 ans lors de ma médaille mondiale… (rire). J’ai probablement mûri mais dans ma tête je reste très jeune. J’ai envie de garder cette spontanéité et cette insouciance qui a toujours fait ma force. J’ai surtout constaté une évolution en termes de stabilité technique. J’ai une certaine régularité depuis 2013 et je réalise toujours ma meilleure performance de la saison lors du grand rendez-vous.

 

Même si les concours ne se ressemblent pas, j’ai grandi dans ma façon d’aborder les grands championnats. J’ai plus de sérénité lors des qualifications même s’il ne faut pas les sous-estimer. J’arrive toujours à donner le meilleur le Jour J grâce au bon travail effectué auprès de Gilles.

 

Avec Mélina Robert-Michon vous êtes l’une des ambassadrices du lancer en France, pensez-vous que la discipline à la place qu’elle mérite ?

 

En Grèce antique, les Jeux Olympique étaient représentés par un lanceur de disque. C’est quelque chose que l’on a perdu au fil des années et les lancers ont été mis de côté. Lors des Jeux Méditerranéens en 2018, quelqu’un m’a demandé si je faisais partie de l’encadrement. C’est une réflexion révélatrice quant à la place du lancer en athlétisme. En équipe de France, nous sommes la spécialité qui a rapporté le plus de points lors des derniers championnats d’Europe par équipes. Les lancers ne sont plus le parent pauvre en France même si cela met du temps à rentrer dans les consciences. C’est à nous de montrer que l’on existe. Avec 3 entraînements par jour 6 fois par semaine je n’ai pas envie d’être considérée comme une pseudo-athlète.

En France, il n’y a que Mélina Robert-Michon, Quentin Bigot et moi-même qui arrivons à avoir un équipementier pour recevoir des dotations. En Allemagne, en Pologne ou dans les pays d’Europe de l’Est, les lanceurs sont reconnus à leur juste valeur. 

 

Ces dernières années le dopage a également fait du mal aux lancers…

 

Oui le dopage a fait beaucoup de mal même si, contrairement à ce que certains pensent, les lancers ne sont pas les plus touchés. Lorsqu’un athlète est contrôlé positif l’amalgame devient facile et tout le monde en souffre. Cela vient ternir l’image des athlètes propres et on passe tous pour des guignols. J’ai accepté le fait de ne peut-être jamais devenir championne olympique un jour à cause des tricheurs. Pour moi, le plus important reste l’intégrité physique. J’ai envie de faire le meilleur résultat possible  grâce à ce que j'entreprends depuis des années. Avec Mélina nous souhaitons faire bouger les choses. La fédération travaille énormément pour sensibiliser les jeunes mais le dopage reste un sujet tabou dans le sport.



Pour l’AOMH, Malcolm Duquesney